Errance Nocturne
Je n’ai rien d’exceptionnel ! Juste un pauvre être qui erre la nuit à la quête d’un point de lumière, d’un refuge ou d’une illusion !
La ruelle est obscure, l’odeur est atroce : on croirait que tous les rats du monde ont choisi de crever dans ce coin oublié de la ville. Comment, j’ai atterri ici ? Aucune idée ! Aucun souvenir ne vient m’éclairer la situation. La ruelle est sans issue, le mur qui barre la rue d’un côté est à peine visible. Je renifle à nouveau l’odeur de la charogne animale, mes narines me piquent et mes yeux lâchent quelques larmes dans un effort vain de lutter contre l’effet de cette puanteur. Mais que fais-je ici ? Avec des pas incertains, je scrute les environs. Un homme est étendu par terre ! Est-il mort ? Je m’approche doucement en essayant de ne pas faire de bruit. Comment on peut tomber si bas si on est toujours en vie ? Je me penche et je remarque le mouvement lent et régulier de son thorax, j’écoute aussi le son faible de la respiration calme d’un sommeil profond ! L’homme élégant, en costume trois pièces, couché sur un matelas d’ordures est vivant ! Les petits tremblements de ses paupières trahissent un rêve tourmenté. Que faire ?
Je n’ai rien d’exceptionnel, je ne suis pas un héros en puissance. L’autre type a choisi de sommeiller dans ce taudis infâme à la poursuite d’un rêve, tant pis pour lui s’il aime la crasse et la puanteur. Je préfère m’aventurer dans ce cul-de-sac ténébreux. Je n’arrive pas à localiser l’origine de l’odeur. Je bloque ma respiration pour me concentrer, mais le manque d’air me force à reprendre mon souffle et à inhaler une grosse bouffée. Il faut que je me tire de là au plus vite, mais vers où ? J’essaie de me rappeler ce qui s’est passé avant, mais c’est le vide ! J’ai toujours admiré ceux qui perdent la mémoire, mais maintenant que j’y suis, je trouve l’expérience atroce ! Nos souvenirs, c’est ce qui nous définit. Ce dont je suis sûr, c’est que je ne suis rien d’extraordinaire !
L’homme couché sur le sol bouge de place, il se tourne vers la gauche, lève son bras vers le ciel et murmure des mots indistincts. Une grosse marque noire s’étale sur son costume. Est-ce du sang ? Non c’est de la terre. Son visage affiche un sourire radieux et ses paupières battent à toute vitesse. Il doit rêver d’une épopée fabuleuse !
Un félin noir fait son apparition. Il lance un miaulement et me regarde avec des yeux curieux en faisant le bruit caractéristique de son espèce. Fiche le camp ! Je ne comprends pas ce que les gens voient de beau dans cette bête ! Je le scrute en essayant de déchiffrer ses intentions. Il a l’air indifférent à ma présence et il cherche sûrement quelque chose à se mettre sous la dent. L’odeur doit l’avoir attiré. Il traverse la ruelle et s’enfonce dans le tas d’immondices qui s’entasse contre le mur.
Un éclat de rire retentit dans la tranquillité du soir. L’homme allongé sur le sol vient de retrouver ses esprits, plein d’énergie. Il s’étire à son aise, se redresse, rajuste ses vêtements et me fait un signe amical de la main. On dirait qu’il est chez lui ! il se dirige vers le mur, fouine dans le recoin et sort un bout de fromage emballé, qu’il ouvre en sifflant le chat. Ce dernier refait surface en remuant la queue comme un chien ravi de voir son maître. Il file vers l’homme, chipe le bout de fromage et repart aussitôt ! L’homme se tourne vers moi, un sourire satisfait aux lèvres, et sans un mot de plus quitte la petite ruelle d’un pas alerte. Il rejoint le monde des vivants !
Je contemple un instant l’invraisemblance de ce qui vient de se passer. J’arrête de me torturer l’esprit avec des questions sans réponses. N’ayant pas de raison particulière de chercher ou de fuir, je décide d’en finir avec cette balade nocturne stérile. Je fais demi-tour et je retourne vers le monde des vivants en espérant ne jamais oublier ce moment !